Les terroirs français, ce sont ces derniers bastions d’authenticité et de diversité, dans un monde où l’uniformité tend à dominer. En effet, ces écosystèmes où interagissent sols, climats et savoir-faire humain forgent des produits porteurs d’histoire et de culture, au-delà de leur caractère alimentaire. Ainsi, en valorisant ces terres, on célèbre non seulement le patrimoine gastronomique, mais aussi l’identité unique de chaque région, un enjeu central dans le contexte de la mondialisation. Décryptage !
Terroir : de quoi parle-t-on ?
Commençons par le commencement : qu’est-ce qu’un terroir ? Eh bien il faut savoir que le terme « terroir », dérivé du mot « terre », apparaît pour la première fois au 12ème siècle pour désigner une région agricole naturelle dédiée à la culture de produits spécifiques. Pour autant, le concept de terroir transcende la simple géographie pour s’ancrer profondément dans le tissu culturel et historique d’une communauté.
Le terroir représente un véritable « mariage » entre les hommes et leur environnement, une synergie où culture et nature se rencontrent pour donner naissance à des produits uniques. Ce lien se manifeste à travers deux dimensions indissociables :
- La dimension culturelle : au cœur des produits de terroir, il y a l’histoire et les traditions d’une communauté. Ce sont des savoir-faire ancestraux, précieusement transmis de génération en génération, qui façonnent ces produits. Chaque produit de terroir est donc le reflet d’une culture locale, d’une identité forte qui se perpétue à travers le temps ;
- La dimension naturelle : les caractéristiques géographiques de la région, telles que le sol et le climat, jouent un rôle clé dans la définition des attributs spécifiques des produits de terroir. Ces facteurs naturels, en harmonie avec les techniques cultivées par les communautés locales, confèrent aux produits de terroir leurs qualités distinctives.
Vous l’aurez donc compris, un terroir n’est pas qu’une zone de production, c’est un espace où la nature et la culture s’entrelacent pour créer des produits qui sont autant de témoignages vivants de l’histoire et de l’identité d’un peuple. Et pour la petite histoire, sachez que le mot « terroir » est purement français, sans équivalence dans aucune autre langue ! Autant le préserver…
Une brève histoire du terroir : une évolution de sens et de valeur
Le concept de terroir, aujourd’hui largement valorisé, a traversé les siècles en évoluant significativement dans son sens et sa connotation. A l’origine, le terme dérive du latin « territorium » et apparaît au Moyen Âge, initialement pour désigner l’espace agricole en tant qu’extension de la communauté humaine, soulignant ainsi l’indissociable lien entre la terre et l’homme.
Au Moyen Âge, le terroir était perçu comme un espace social et agricole, une union de la terre avec sa communauté. Cependant, pendant la Renaissance, le terme « terroir » s’est chargé d’une dimension plus utilitaire, désignant spécifiquement les types de sols adaptés à certaines cultures. Par exemple, les terres étaient catégorisées comme propices à la culture du blé, de l’avoine, ou des vignes. A cette époque, parler des produits « sentant le terroir » pouvait être péjoratif, souvent synonyme de défaut.
Au XVIIe siècle, cette connotation négative prédominait. Les produits les plus estimés étaient ceux qui, paradoxalement, ne trahissaient pas leur origine terrestre. L’excellence était attribuée aux produits dont les qualités transcendaient les caractéristiques de leur terroir d’origine. Le tournant se situe au XVIIIe siècle, avec un renversement de perspective notamment influencé par des mouvements régionaux qui se rebellaient contre l’hégémonie culturelle de Paris. Cette période marque le début d’une valorisation du terroir en tant que signature olfactive et gustative positive, influençant la qualité perçue des vins et des mets. Des œuvres comme l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert commencent à associer la qualité des vins aux caractéristiques spécifiques des sols sur lesquels les vignes poussaient.
Au XIXe siècle, cette revalorisation du terroir s’accentue… L’épidémie de phylloxéra, qui a ravagé les vignobles français, joue paradoxalement un rôle clé dans la reconnaissance du terroir. La greffe de vignes françaises sur des porte-greffes américains résistants au phylloxéra soulève des inquiétudes quant à la « contamination » potentielle des vins français par des caractéristiques étrangères. Les scientifiques de l’époque rassurent les vignerons en mettant en avant le rôle primordial du terroir, affirmant que les qualités uniques des vins français sont dues au terroir plutôt qu’aux variétés de cépages. C’est dans ce contexte que naît le système des Appellations d’Origine, formalisant la notion que certaines qualités uniques des produits agricoles sont directement liées à leur lieu de production spécifique.
Le terroir à l’ère de la mondialisation : entre authenticité locale et reconnaissance globale
Au début des années 2010, la notion de terroir évolue significativement pour embrasser des dimensions de durabilité et de responsabilité environnementale, une transformation qui s’inscrit dans le sillage des discussions sur le développement durable initiées dans les années 90, notamment lors de la conférence de Rio. Le terroir, traditionnellement ancré dans un contexte français, s’internationalise progressivement, répondant ainsi aux enjeux de protection des indications géographiques à l’échelle mondiale.
Vers une revalorisation du quotidien avec la nouvelle vague du local
Dans le même temps, la notion de proximité commence à prévaloir, influençant la perception et la valorisation des produits. Le local ne célèbre plus uniquement l’exceptionnel et l’unique mais également le quotidien et le banal. Une tension se manifeste entre le terroir vu comme un idéal de nature et le local perçu comme l’accessible et le proche. Cette évolution marque un glissement de l’exceptionnalité vers une appréciation du commun, où l’authenticité ne dérive plus exclusivement de l’unicité géographique, mais également de la proximité et de la familiarité.
La promotion du local dans le cadre du développement durable
Face à une offre croissante et diversifiée, les consommateurs, de plus en plus soucieux de leur environnement et des valeurs éthiques, optent pour des choix qui délaissent les appellations contrôlées traditionnelles au profit de formes de reconnaissance plus immédiates et locales. L’origine, comme facteur rassurant, s’oriente désormais vers des produits de proximité, souvent vendus directement par les producteurs. Ce mouvement vers le local est aussi un acte militant qui remet en question le modèle alimentaire industriel et ses impacts environnementaux et sociaux.
La quête de produits locaux est ainsi liée à une volonté de relocalisation économique, une réponse à la mondialisation qui favorise les circuits courts et minimise les intermédiaires comme les grandes surfaces et l’industrie agroalimentaire. Inspirés par les locavores anglo-saxons, les consommateurs français adoptent une démarche où le terroir n’est plus seulement associé à des produits d’exception comme les vins ou les fromages, mais s’étend à des produits quotidiens, frais et locaux, utilisés même dans les cantines.
Le terroir pourrait aussi participer à la souveraineté alimentaire de la France, un véritable enjeu actuel, comme le souligne Stéphane Layani, président du marché de Rungis : « Le maintien de notre souveraineté alimentaire est en jeu ».
L’authenticité des terroirs français, un atout face à la mode du naturel
Dans un monde où le « naturel » est souvent glorifié comme un idéal souvent inaccessible, les terroirs français représentent une authenticité tangible et profondément ancrée dans la culture et l’histoire. Jean-Robert Pitte, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, apporte une perspective éclairée sur cette question. Il souligne une distinction clé : « Je distinguerai l’authentique du naturel. Le naturel est une mode qui repose sur un mythe, celui d’une nature pure de toute transformation humaine, ce qui n’a jamais existé depuis que l’humanité a commencé à occuper la planète et, ce faisant, à transformer son environnement ».
Le lien indissociable entre terroirs et authenticité
Les terroirs français ne sont pas simplement des zones de production agricole ; ils sont le reflet de la maîtrise agronomique, paysagère, esthétique et gourmande qui caractérise chaque région. Ces terroirs sont le résultat d’une symbiose entre les potentialités naturelles et les savoir-faire humains, développés et affinés au fil des générations. Pour Pitte, chacun d’entre eux résulte de la conjonction de potentiels physiques et de savoir-faire humains tendus vers la production d’aliments qui expriment aussi le goût de chaque peuple et donc sa culture, son identité.
Cette authenticité se traduit dans les produits, mais aussi dans les paysages qu’ils engendrent. De la Normandie à la Bourgogne, les terroirs français offrent un tableau où la nature et l’homme collaborent étroitement pour créer des produits d’exception. Qui plus est, cette intégration réussie se manifeste dans la reconnaissance mondiale, comme les climats de Bourgogne, inscrits au patrimoine de l’Unesco.
Par ailleurs, tandis que l’agrobusiness peine, subventionné pour maintenir une rentabilité précaire, les producteurs qui se concentrent sur la qualité et l’authenticité connaissent un succès remarquable. Les vignerons et les producteurs de fromages AOP en sont des exemples éloquents. Dans ces domaines, le foncier s’apprécie, témoignant de la valeur ajoutée de l’authenticité et de la qualité.
Sources :
https://www.la-croix.com/Economie/France/Le-terroir-atout-gastronomie-francaise-2017-08-25-1200872013
https://www.lacourdorgeres.com/terroir-qualite-fruits-produits,pa45.html
https://repasgastronomiquedesfrancais.org/2018/03/01/thomas-parker-les-francais-ont-appris-a-gouter-leur-cuisine-avec-le-meme-paradigme-quils-utilisaient-pour-juger-le-comportement-des-gens/
https://www.cairn.info/revue-pour-2012-3-page-63.htm